Le train va doucement, on quitte la ville puis on commence à voir des forêts, quelques villages avec des maisons en bois colorés. Des construction et des travaux.
Dans le compartiment ouvert en face de babushka et moi, il y a deux femmes qui ont l’air trop gentilles aussi. Babushka discute grave avec les gens derrière, c’est un peu le PMU du train quoi. Enfin ça dépend des gens, certains sont déjà à la sieste. J’ai dis que j’étais trop contente d’être dans le train ? En plus il y a une prise par personne, je vais pouvoir faire un peu de japonais, envoyer quelques messages. La dame blonde en face mange du poisson séché sur un napperon blanc. L’autre a couvert sa tasse d’un mouchoir aux motifs de noël transpercé par la cuillère qui trône dedans.
J’ai hâte qu’on change de paysage. Après, il paraît que c’est un peu toujours pareil la Sibérie.
Le soir, super premier dodo du trajet. Le lendemain, c’est encore la fête des grand-mères ! Maintenant je suis copine avec celle derrière moi, et celle derrière babushka n°1. Oui, elle m’ont dis leurs prénoms, mais je me rappelle jamais des prénoms. Je récolte encore de la nourriture, et des petites discussions sur la famille, où vit qui, qui va où. Ce que je préfère en Russie, ce sont les grand-mères je crois !
Ce matin, je suis sortie du train ! Victoire ! J’avoue que ça me faisait un peu peur. Peur irrationnelle de ne pas remonter dans le train à temps, mais quand même. En fait, il y a un planning des différents arrêts, leurs horaires, tout est bien précis. D’ailleurs, mon arrêt c’est quelque chose comme le 75ème !
Ce qui est génial sur ce tronçon Moscou – Irkustsk, c’est qu’on va faire +5 heures en passant 5 fuseaux horaires. Un matin je me lève, c’est 8h, en fait 9h. Je petit-déjeune. Puis c’est 11h, et en fait non, midi, l’heure du déjeuner ! Chacun.e mange un peu n’importe quand, c’est drôle. Il y a des odeurs plus ou moins fortes, ça donne toujours faim ! Du poisson séché, des nouilles, des légumes en saumure et autre saucissons au programme. Pour ma part, je complète soupes, pains et nouilles avec des fruits pour penser un peu à mon transit !
Une scène trop drôle l’après-midi. Un type arrive dans le compartiment, apparemment légèrement éméché. Quand il voit qu’on s’amuse avec la mamie sur le dictionnaire visuel, il rapplique et veut faire partie de la fête. Il est rigolo 15 minutes, puis un peu trop tactile, alors c’est « Niet ! ». Après on se marre avec la mamie qui lui parle en russe avec plein de Niet dans les phrases, qui nous dit un truc du genre « ça pourrait être sa fille », et moi qui rajoute en russe (merci le traducteur)
“Babushka skazala niet”
littéralement « Mamie a dit non ! » , et finalement il retourne se coucher et on rit avec babushka qui me fait un signe genre « il est fou lui ! ».
La forêt change, et maintenant il y a de magnifiques arbres aux troncs blancs dont les feuilles sont vertes, jaunes, oranges et même rouges des fois. Les feuilles tombent avec le vent, je ne m’en lasse pas. Et c’est comme si le temps passait plus vite quand on bouge ? Là, les heures filent, mais peut-être aussi parce qu’on fait presque +2 heures sur la montre chaque jour.
Encore un dodo assez géant. Je me suis juste réveillée dans la nuit pour voir - à la place des deux femmes d’en face - un groupe de russes qui papotent derrière un drap mis en paravent, genre réunion secrète. Le lendemain matin, ils étaient déjà partis.
Hier, j’ai aussi discuté avec un papa qui travaille dans une usine. Il y avait aussi sa femme et leur fils, handicapé. Compliqué dans le dortoir géant. D’ailleurs, je sais pas trop quelles sont les conditions d’accueil ou l’accompagnement possible à l’école et ailleurs en Russie. Pas l’air simple du tout. Le papa n’en parle pas, à la place il me fait des discours en russe où je crois comprendre « France », « Lénine », « statue », et je répète les mots que je comprends d’un air entendu. Mais je crois qu’il sait que je sais que je ne comprends pas. Après je leur donne du chocolat et ils me donnent des bonbons. Le langage de la nourriture, c’est parfait.
Un moment bizarre, je ne sais plus quel jour, où je me dit que le train c’est un peu comme la vie et le temps. Tu peux faire ce que tu veux, ça avance toujours, quoi que tu fasses. Y’a des gens qui montent et qui descendent, que tu t’attachent à eux ou pas. Ça change tout le temps. Des fois le paysage est un peu toujours le même, et tu peux l’apprécier ou pas. Tu peux choisir de prendre un seul train, ou plusieurs, changer de direction. Mais dans tous les cas, ça avance, et dans la vrai vie, tu sais pas quand c’est ton arrêt final.
J’avance à fond aussi dans le livre du samouraï, je le finis. Après les jours se mélangent, je sais plus exactement quand j’ai mangé quoi et quand j’ai parlé à qui. Pas gênant pour un sous. À un moment, je suis passé de la phase sociale à la phase ermite, quand plein d’enfants ont débarqués autour de moi, peut-être une colo. Je passe inaperçu et incognito, je m’entraîne à être personne. Je lis, je lis, je sieste, je sieste, je pense, je pense. Je commence aussi L’homme qui marche et Wild. Ça me donne envie de marcher. Pourquoi pas finalement faire le tour entier de l’île de Shikoku autour de 88 temples ? Ça devrait prendre deux mois, à étudier sur place.
Encore aujourd’hui puis un dodo. J’arrive à 6h22 demain, bien vérifier que j’ai bien le bon fuseau horaire pour mettre le réveil ! Faire le sac à l’avance et récupérer mes chaussures sous le lit du bas. Je me suis lavée les cheveux dans le petit lavabo, ça passe crème. Cette nuit j’ai un peu moins bien dormi, il y avait un bébé, et les enfants font la foire. Du coup, en me levant la nuit pour aller faire pipi, j’avais tellement la tête dans le cul que j’ai eu vraiment l’impression de devoir traverser une forêt de pieds (ceux qui dépassent des lits dans le couloir si les gens sont grands). Il faut les éviter avec une capacité de mobilité, vision et réflexion réduite ! Je m’en suis pris un ou deux je crois.
Des fois on passe sur des ponts, c’est beau ! On traverse aussi des petits villages, où des villes illuminées la nuit. Toujours la forêt magique le reste du temps. Multicolore d’automne. Les enfants font des dessins, un peu comme des mangas, et collent des toutes petites billes sur un dessin déjà fait, et renversent tout partout, c’est rigolo. Je suis trop bien avec mes milles thés par jour, les open-siestes dans mon petit cocon en haut, entourée de flots de paroles que je ne comprends pas. Comme j’apprends un peu de japonais, des fois je crois entendre certains mots alors que les gens parlent russe.
Fait nouveau dans ce nouveau quotidien, lors d’un arrêt en gare, un russe du train arrêté en face se fait lui aussi arrêter. Je ne sais pas ce qu’il a fait, mais il est menotté avec deux flics à l’air méchants mais aussi d’air de statues qui le bordent. Il a le crane rasé, il est en jogging et torse nu. Il a vraiment pas l’air d’avoir froid mais d’être super serein. En fait, ce train, c’est un peu comme aller dans un musée où tu sais pas lire les explications. Il se passe des choses, tu les vois, mais tu sais que tu comprends pas tout du tout. Ça me fait un peu ça la Russie, en même temps je suis en super transit, normal. Mais la vie n’a pas l’air simple, la police – répressive, la météo – rude, et le niveau de vie – difficile.
Le dernier matin, je me réveille une heure avant l’arrêt pour être sure de ne pas le rater. Je suis super en avance. Je ramène mes draps et ma petite serviette. Les enfants se préparent aussi, je crois qu’ils descendent au même endroit. Arrivée à Irkustsk à 6h22.
#6 Irkustsk et le lac Baïkal : pause bleue